Digérer la torture – Avaler des mensonges…

Depuis vendredi 13 juillet (ça sonne un peu comme une mauvaise blague superstitieuse), on a pu lire dans « midi libre » l’article suivant :

Les abattoirs Alazard et Roux à Tarascon (Bouches-du-Rhône) vont préparer gratuitement à la banque alimentaire de Vaucluse la viande de 6 taureaux tués dimanche prochain dans les arènes de Châteaurenard.

Les anti-corridas dénoncent ce« pacte inacceptable » sur les réseaux sociaux.

Thierry Hély, porte-parole de la Flac (Fédératon des Luttes pour l’Abolition des Corridas) a déclaré ce vendredi matin sur France Bleu Vaucluse: « Nous on se lève contre ce genre d’initiative sur le plan éthique. On ne peut pas offrir cette viande qui a été le produit d’une pratique cruelle et d’unetorture caractérisée dans les arènes. Pour nous c’est inadmissible. »

Pour Maïté Grégoire Bruché, la présidente de la banque alimentaire Vaucluse citée par nos confrères, il n’est pas question de refuser cette viande : « Ce don c’est quelque chose d’exceptionnel pour nous. Six taureaux de combat de plus de 600kg chacun ça représente 10 000 repas« .

Elle ajoute que tous les bénéficiaires seront informés de l’origine de la viande.

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L’article est assorti d’un sondage qui permet de raviver les vieux débats stériles sur la validité ou non de tel ou tel vote. Peu importe.
La nouveauté, c’est la manipulation de l’opinion publique, qui doit en quelque sorte trancher entre les taureaux et les humains. Déjà certains hésitent quand il s’agit de choisir entre des vies et une tradition. Alors quand il s’agit de choisir entre des vies animales et la faim humaine, le calcul devient compliqué…
Les « anti » sont taxés de sans coeurs, qui préfèrent les animaux aux humains… Peut-on comparer mourir et avoir faim ? Et dans quelle mesure, ne pas manger la viande des taureaux massacrés en arène va-t-elle priver les gens de nourriture ?

Je serais d’avis que les personnes qui vont bénéficier de cette viande aillent faire un tour en arène dimanche, et voient d’elles-mêmes ce à quoi elles participent.

 Corrida, la torture légale

La corrida ne se maintient en France que par un alinéa dans l’article 521-1 du code pénal, qui paradoxalement la reconnait comme un acte de cruauté

Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende.

[…]

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie.

article complet

« Tu ne tueras point. Sauf si cela fait partie d’une tradition…  »

Est ce que la tradition justifie la cruauté ? Dans ce cas, pourquoi diable emmerde-t-on les défenseurs et pratiquants de l’excision ? Il s’agit pourtant d’une tradition, cruelle certes, mais d’une tradition, dont les victimes ne sont pas consentantes. Aucune différence.
Si ce n’est l’espèce de la victime… nous y reviendrons.

Pourquoi ?

Il est difficile d’entrevoir tous les enjeux qui se cachent derrière la corrida… L’argent, l’identité, la supériorité de l’Homme avec un grand H sur l’animal (avec un petit a).

Il n’y a en fait qu’un seul point sur lequel je suis partiellement d’accord avec les « pro » : il est difficile de savoir ce qui est pire entre le sort de taureaux de corrida et celui de vaches en élevage intensif. La comparaison revient souvent : « nos taureaux meurent dignement dans une arène, mais avant ça, ils ont vécu une belle vie; vos vaches vivent une vie de souffrance en élevage intensif avant d’être tuées dans la plus grande indifférence »… Encore une fois, on ne justifie pas un crime par un autre. Les vaches élevées pour leur chair représentent un problème, la corrida un autre.

La corrida se maintient aussi comme ça : « c’est pas pire que… ».

Son inscription au patrimoine immatériel français en avril 2011 n’a rien arrangé au problème. Alors que de plus en plus de Français récusent cette pratique barbare, l’Etat français s’en fait le garant…

Bref, pourquoi alors contester ce don à la banque alimentaire ?

La faim justifie les moyens

Pour moi, ce don fait aux gens « dans le besoin » est une tentative de manipulation à peine couverte…

on est gentils; nous au moins on aide les humains; partageons la torture.
Une bonne manière de mettre les non-aficionados dans le même panier : la corrida profite à tout le monde, et surtout aux humains, et c’est tout ce qui compte, non ?

à l’heure où la corrida est plus que contestée, partout en France -et ailleurs- il est de bon ton de faire un geste qui la rende agréable aux yeux des gens.

En fait, si l’on en croit les quelques informations que l’on trouve sur internet, ce n’est pas la 1ère tentative, et certaines corridas se font appeler « de bienfaisance ». J’ai d’abord essayé de ravaler mes préjugés, et je me suis dit « peut être que c’est vrai. Qu’ils ne voient pas le mal, et qu’ils veulent vraiment aider les gens avec leur argent -qui n’en est pas moins dégueulasse ». Finalement, je n’en suis pas si sûre, vu les propos portés sur les quelques associations qui ont eu l’intelligence et l’éthique de refuser l’argent. On n’améliore pas la vie de certains avec la torture à mort des autres…

Je me suis demandé récemment pourquoi les aficionados étaient si agressifs. Je crois que c’est parce qu’ils n’ont plus de vrais arguments pour contrer ceux des « anti ». La tradition, on a compris. Le spectacle et l’identité d’une ville, on a compris. On leur accorde tout ça, la beauté du spectacle, même s’ils veulent. Mais ça ne justifie rien. Tous les arguments qu’ils peuvent mettre en avant ne justifient pas la torture, la souffrance, la mort sous des centaines d’yeux qui se contentent de regarder… regarder souffrir, et regarder mourir.

La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres

Même discours pour les aficionados et pour les mangeurs de viande : « toi tu fais ce que tu veux, je ne te juge pas sur tes choix de vie. Alors laisse moi tranquille, et ne me juge pas non plus ! »

Pourquoi ça ne fonctionne pas ? Parce que la corrida, comme la viande, implique de faire souffrir d’autres individus, innocents. On ne peut pas être témoin d’injustices et laisser faire.

On peut donc également s’élever contre la lâcheté de la banque alimentaire d’accepter la viande de taureaux torturés. Un rachat de conscience pour les aficionados.

liens :

La corrida en France : une exception très culturelle, Le Monde, 28.07.2010

Pourquoi j’aime la corrida par François Zumbiehl

corridas de bienfaisance

CAS

 

 

Elodie B.